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Recrutement en SHS

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Comment recruter un chercheur en sciences humaines et sociales ? 
Depuis le dix-neuvième siècle, il est d'usage de distinguer les sciences de la nature et les sciences de l'esprit. Dans le paysage français de la recherche, on trouve d'un côté les sciences exactes et les sciences de la vie, encore appelées sciences fondamentales, et de l'autre les sciences dites humaines et sociales (SHS). De même que la qualité de la recherche demande de recruter les meilleurs chercheurs dans les sciences de la nature, il est crucial de recruter les meilleurs chercheurs en sciences humaines et sociales. Pour comprendre le monde dans lequel nous vivons et que nous contribuons à construire, la philosophie, la linguistique, l’histoire, l’anthropologie, la sociologie, l’économie, la géographie, ou encore les sciences politiques sont indispensables. Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) est appelé à jouer un rôle décisif dans ce processus de recrutement de haut niveau. Or on constate dans certaines sections du CNRS relevant du domaine des SHS que, régulièrement, ce ne sont pas les meilleurs candidats qui sont recrutés : ainsi, plus d'une fois en SHS, il a été constaté qu'un poste fléché avait été pourvu par un candidat peu qualifié en comparaison d'autres candidats plus experts, disqualifiés ou pas même classés. Il paraît douteux que ce phénomène se produise avec la même ampleur dans les sections de sciences exactes ou des sciences du vivant. Notre objectif ici est de suggérer qu’il est souhaitable d’améliorer les modalités de recrutement des chercheurs en SHS au CNRS, à condition de prendre en compte des critères analogues de qualité, critères objectivement fondés et inspirés de procédures qui fonctionnent bien ailleurs – soit au CNRS dans d’autres domaines que les SHS, soit à l’université, soit encore dans les agences de recherche nationales ou internationales. Nous voudrions proposer un certain nombre de principes, qui sembleront peut-être aller de soi, qui sans doute devraient aller de soi, mais qui, s’ils étaient respectés, amélioreraient de façon significative les modalités de ce recrutement. Nous pensons souhaitable que la communauté des chercheurs en SHS, dans son ensemble, se mette d’accord sur ces principes, ou bien se mette en mesure d’expliquer pourquoi elle ne souhaite pas les appliquer. La situation actuelle Actuellement, un chercheur ou une chercheuse est recruté(e) au CNRS sur un poste permanent, c’est-à-dire pour une période d’environ trente ans, sur la base d’un exposé qui dure dix à quinze minutes, suivi d’un entretien de la même durée. Auparavant, un membre du comité, appelé le « rapporteur », a étudié son dossier (constitué d’un curriculum vitae, d’un projet de recherche et, le cas échéant, des principales publications) ; les autres membres du comité ont généralement lu un très bref résumé de son projet. On peut donc dire que les membres du comité sont, dans l’ensemble, peu informés de la qualité du dossier présenté, ce qui les conduit à se forger une opinion en s’appuyant principalement sur l’avis du rapporteur d’une part, et sur le « brillant » de l’exposé du candidat. De plus, étant donné le nombre très important de candidats, chacun est interrogé par un « sous-jury», composé d’environ cinq membres du comité, ce qui induit d’immenses difficultés de coordination, et en définitive une injustice évidente entre candidats, puisque chacun(e) n’est pas jugé(e) par les mêmes évaluateurs. En outre, dans plusieurs sections de SHS du CNRS, le spectre des domaines couverts est si large qu’il est structurellement impossible que les membres du comité soient compétents pour juger de chaque dossier. Pour illustrer ce problème, prenons le cas de la section 35, intitulée « Philosophie, histoire de la pensée, sciences des textes, théorie et histoire des littératures et des arts ». Selon les textes en vigueur, les membres de cette section sont chargés d’examiner les dossiers de tous les candidats appartenant aux domaines suivants : épistémologie, histoire et philosophie des sciences et des techniques ; philosophie du langage et de la cognition ; philosophies antiques, médiévales, modernes et contemporaines ; esthétique et théorie de la représentation littéraire et artistique ; littératures française et d’expression française ; littératures étrangères ; musicologie. Ces domaines représentent onze sections différentes au Conseil national des universités (CNU), qui évalue les jeunes docteurs et enseignants-chercheurs de l’université. Il ne viendrait à l’idée d’aucun comité de recrutement à l’université de demander à des spécialistes de philosophie politique de recruter un enseignant-chercheur en littérature espagnole du 12e siècle. C’est pourtant ce qui se passe au CNRS. Il est incontestablement possible d’améliorer ces conditions de recrutement. Après avoir explicité ce qui nous semble devoir être les critères de sélection d’un bon chercheur en SHS, nous tenterons d’en tirer quelques conséquences du point de vue de l’organisation du recrutement. Les critères de sélection en sciences humaines et sociales Le seul véritable critère de sélection doit être la qualité scientifique du dossier et du projet. Ce critère de qualité scientifique s’oppose à plusieurs autres critères, plus ou moins explicités, dont le plus fréquent est incontestablement la « réputation », c’est-à-dire en réalité le « réseau » : dans de nombreux cas, la personne admise au CNRS est connue des membres du comité, parce qu’ils la connaissent personnellement, parce que des collègues proches leur en ont dit du bien, parce qu’ils fréquentent les mêmes cercles, conférences ou séminaires. Si on ajoute ce phénomène à la remarque effectuée plus haut, à savoir que les membres du comité ne peuvent structurellement pas être compétents sur l’ensemble des domaines relevant de l’intitulé de leur section, on comprend que les recrutements puissent, assez fréquemment, être contestables. Tout au contraire, la véritable qualité scientifique, celle sur laquelle les recrutements au CNRS devraient se fonder, est la reconnaissance par les pairs, ce qui implique d’une part la compétence spécialisée, et d’autre part le passage par des procédures objectivées (et non uniquement interpersonnelles) de reconnaissance, en particulier des publications dans des revues sélectives avec comité de lecture (avec évaluation « en double aveugle »), des livres chez des éditeurs réellement sélectifs (avec évaluation par des pairs spécialisés dans le domaine) et la participation à des conférences sélectives (c’est-à-dire avec comité de sélection). Dans cette optique, et sauf cas extrêmement particuliers (à savoir certains domaines ayant par définition une très forte composante nationale, comme c’est le cas dans certaines branches des lettres, du droit, etc.), la reconnaissance internationale doit être privilégiée par rapport à la reconnaissance nationale. Il va de soi que le fait de se soumettre à l’avis de collègues nombreux, géographiquement éloignés, divers dans leurs goûts, leurs attentes et leurs méthodes, permet de mieux atteindre l’idéal traditionnel d’ « universalité » qui caractérise toute université et toute recherche, et doit donc être valorisé. Dans le même ordre d’idée, l’évaluation de la qualité du projet ne saurait être dissociée de celle du dossier décrivant l’expérience passée du candidat. Nul doute que la capacité de rédiger un projet clair, stimulant et réalisable d’un point de vue temporel soit importante pour un recrutement. Trop souvent, néanmoins, un recrutement se voit justifié par « l’exceptionnelle originalité du projet », alors même que le candidat ou la candidate ne dispose d’aucune des reconnaissances classiques et légitimes du domaine (en particulier, des publications). La mention de l’originalité du projet peut dans ce cas servir à dissimuler la médiocrité de la candidature et les petits arrangements qui l’accompagnent. Nous souscrivons sans ambages à la valorisation de « l’originalité », mais suggérons que la saine originalité ne saurait être totalement distincte de la qualité scientifique de ce qui a été effectué par le candidat ou la candidate jusqu’ici. Cette méthode de l’évaluation par les pairs a depuis longtemps fait ses preuves à l’échelle internationale, que ce soit en Europe ou ailleurs. Comme la suite de ce texte va le montrer, nous suggérons simplement d’adopter cette méthode pour le recrutement des chercheurs en SHS au CNRS. Quelques propositions pour l'amélioration des conditions pratiques de recrutement au CNRS Nous pensons qu’il faut faire en sorte que chaque membre du comité de sélection connaisse en détail le dossier de chaque candidat(e). Pour réaliser cet objectif, il convient d’opérer trois changements importants. Tout d’abord, il faut redécouper les sections du CNRS de manière à ce que chaque section regroupe un domaine de compétence suffisamment restreint (par exemple une section « Philosophie » , et non « Philosophie, histoire de la pensée, sciences des textes, théorie et histoire des littératures et des arts »). Ensuite, il est souhaitable de passer à une audition d’une heure, au lieu des 15 ou 20 minutes actuelles. Enfin, il faut que chaque membre du comité, et non plus simplement le rapporteur, s’engage à lire l’intégralité du dossier de candidature (projet, publications, thèse, etc.) Nous sommes parfaitement conscients qu’opérer ces changements ne serait pas possible dans l’état actuel des choses puisque, pour un poste de chargé(e) de recherches en philosophie ou en histoire, par exemple, on compte parfois jusqu’à deux cents candidats. Il convient donc de passer à une méthode de recrutement organisée en deux étapes principales : dans un premier temps, la sélection d’un nombre restreint de candidatures sur la seule base de l’examen du dossier de candidature ; dans un second temps, le stade de l’audition, pour celles et ceux qui auront été retenu(e)s lors de la première étape. Néanmoins, l’examen des dossiers de candidatures lui-même prendra beaucoup de temps, donc il ne saurait être pris en charge par les seuls membres du comité (qui ne sont qu’au nombre de vingt, par exemple, en section 35, ou encore de vingt-et-un en section 33). Il faut donc, à la fois pour ces raisons de temps et pour des raisons de spécificité des compétences individuelles, adjoindre au comité des experts nationaux et internationaux, dans chaque cas spécialistes du domaine de recherche du candidat ou de la candidate, selon le principe déjà en vigueur, par exemple, dans les universités américaines lorsqu’il s’agit de pourvoir un poste permanent (« tenure »), mais aussi pour la sélection des projets à l'ANR, à l’ERC, et plus généralement dans toutes les agences de moyens dans le domaine de la recherche. Ainsi, nous pourrions concevoir qu’une candidature au CNRS se passe selon les étapes suivantes. Premièrement, chaque candidat(e) inclut dans son dossier de candidature (dont il sera particulièrement souhaitable que la partie « projet » soit rédigée soit en français avec une traduction en anglais, soit uniquement en anglais – sauf dans les cas, rares, où le domaine du candidat ou de la candidate comporte une très forte dimension française ou francophone) deux lettres de recommandation, chacune rédigée par un(e) spécialiste, reconnu(e) internationalement, du domaine de recherche spécifique du candidat ou de la candidate. Il serait souhaitable, mais non indispensable, qu’au moins l'un(e) de ces deux spécialistes se trouve à l'étranger. Chaque lettre sera accompagnée d’un questionnaire détaillé, préparé par le CNRS, et rempli par le ou la spécialiste. Deuxièmement, le comité élimine, parmi les candidatures qu’il a reçues, celles qui lui semblent très faibles ou totalement en dehors du domaine, selon des critères objectifs explicites : absence d’investissement dans la recherche (participation à des colloques, publications, etc.), thématique de recherche très éloignée du domaine de la section (et/ou du profil du poste, s’il y a lieu). Le nombre de candidatures mises de côté à cette étape ne peut qu’être limité, puisqu’il semble souhaitable de laisser leurs chances au plus grand nombre possible de candidat(e)s. Troisièmement, le comité désigne, pour chaque candidat(e) retenu(e), deux experts, spécialistes internationalement reconnus du domaine du candidat ou de la candidate. Il est ici aussi souhaitable, mais non indispensable, qu’au moins l'un(e) de ces deux spécialistes se trouve à l'étranger (à l’exception des domaines, plutôt rares, dans lesquels tous les meilleurs spécialistes se trouvent en France). Le comité veillera à la diversité des experts qu’il désigne, et corrélativement à leur excellente reconnaissance internationale par leurs pairs, ainsi qu’à l’adéquation spécifique au domaine de recherche du candidat ou de la candidate. Dans le cas improbable où ces critères de forte reconnaissance internationale, de compétence spécifique et de diversité ne seraient pas respectés, la direction du CNRS pourrait demander au comité de proposer de nouveaux noms d’experts. Quatrièmement, les experts donnent leur avis sur le dossier de candidature, sous la forme d’une fiche détaillée. Nous suggérons que, comme cela se passe pour les candidatures d’enseignants-chercheurs à l’université, le candidat ou la candidate ait ensuite accès à cette fiche, qui lui permettra de comprendre les raisons d’un éventuel échec et probablement de soumettre une candidature de meilleure qualité l’année suivante. Cinquièmement, sur la base des lettres de recommandation et de ces avis fournis par des experts, seuls les candidats ayant obtenu les meilleures évaluations sont auditionnés. Sixièmement, le candidat ou la candidate est auditionné(e). Chaque membre du comité a lu en détail ses travaux, puis l’entend et a l’opportunité de lui poser des questions pendant une heure. Il n’y a donc pas de sous-jury, l’ensemble du comité étant présent à l’audition de chaque candidat(e). A la fin de ce processus de sélection progressif et toujours fondé sur des avis compétents et informés, il est extrêmement probable – et, en tout état de cause, beaucoup plus probable que dans les conditions actuelles – que les meilleur(e)s candidat(e)s aient été retenu(e)s. De fait, cette procédure constituerait une application, par le CNRS, de méthodes qui ont fait leurs preuves dans les comités de sélection bien organisés dans l’université française (rapport détaillé et transmis au candidat ou à la candidate sur chaque dossier de candidature ; audition d’un nombre limité de candidat(e)s à partir d’une sélection fondée sur l’examen du seul dossier de candidature), dans les « comités d’embauche » (search committees) de nombreuses universités étrangères et enfin dans les agences de moyens à l’échelle internationale (où l’évaluation se fait par la désignation d’experts disposant d’une reconnaissance indiscutable et ayant une compétence spécifique dans le domaine de recherche du candidat). Si cette procédure est suivie, alors, loin que le comité soit dépossédé de ses prérogatives, il n’en conservera que le meilleur aspect, à savoir la possibilité de choisir, parmi des personnes toutes reconnues comme excellentes par des spécialistes de leur domaine, celles et ceux en qui il voit les meilleures chercheuses et les meilleurs chercheurs de demain. Une telle réforme du mode de recrutement des chercheurs en SHS au CNRS nous semble hautement souhaitable. Elle pourrait aisément faire consensus, et, si elle était appliquée, elle permettrait de garantir aux candidat(e)s que le seul critère de sélection pour entrer au CNRS est celui de la qualité scientifique, fondée uniquement sur la reconnaissance par ses pairs.

Premiers signataires (par ordre alphabétique) :
Daniel Andler, Professeur de Philosophie à l’Université Paris-Sorbonne & membre senior de l’IUF
Anouk Barberousse, Professeure de Philosophie à l’Université de Lille 1
Denis Bonnay, Maître de conférences en Philosophie à l’Université Paris-Ouest Nanterre
Frédéric Bouchard, Professeur de Philosophie, Université de Montréal, Canada
Cédric Brun, Maître de conférences en Philosophie à l’Université Bordeaux 3
Werner Callebaut, Directeur du Konrad Lorenz Institute (Autriche) & Professeur de Philosophie, Limburgs Universitair Centrum (Belgique)
Emmanuel Chemla, Chargé de recherche, Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique, CNRS
Mikaël Cozic, Maître de conférences en Philosophie à l’Université de Paris 12 Val de Marne
Isabelle Drouet, Maîtresse de conférences en Philosophie à l’Université Paris IV Paris-Sorbonne
Michael Esfeld, Professeur ordinaire de Philosophie des sciences, Université de Lausanne, Suisse
Luc Faucher, Professeur titulaire, Département de philosophie, Université du Québec à Montréal, Canada
Denis Forest, Professeur de Philosophie, Université Paris-Ouest Nanterre
Alexandre Guay, Maître de conférences en Philosophie à l’Université de Bourgogne
Nathalie Heinich, Directeur de recherches en Sociologie, CNRS
Maximilian Kistler, Professeur de Philosophie à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Pascal Ludwig, Maître de conférences en Philosophie à l’Université Paris IV Paris-Sorbonne
Mathieu Marion, Professeur titulaire, Département de philosophie, Université du Québec à Montréal, Canada & Chaire de recherche du Canada en philosophie de la logique et des mathématiques
Thomas Pradeu, Maître de conférences en Philosophie à l’Université Paris IV Paris-Sorbonne & membre junior de l’IUF
Joëlle Proust, Directeur de Recherche en Philosophie, Institut Jean-Nicod, CNRS
Federica Russo, Center Leo Apostel, VUB (Belgique) & Centre for Reasoning, Kent (Royaume-Uni)
Philippe Schlenker, Directeur de Recherche en Linguistique, Institut Jean-Nicod, CNRS; Global Distinguished Professor, New York University
Benjamin Spector, Chargé de recherche en Linguistique, Institut Jean-Nicod, CNRS
Dominique Sportiche, Professeur de Linguistique, UCLA & Professeur Associé à l’ENS-Paris
Isidora Stojanovic, Chargée de recherche en Philosophie, Institut Jean-Nicod, CNRS
Marcel Weber, Professeur de Philosophie, Université de Genève, Suisse

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