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La recherche française et les standards internationaux

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La recherche française et les standards internationaux La recherche a pour principal but de repousser les limites du savoir humain. De cette prémisse suivent des principes d'organisation qui sont couramment appliqués par les meilleures institutions de recherche internationales, mais qui n'ont pas toujours cours en France; ils s’appliquent en principe à tout discipline qui a une visée de validité universelle. 1 L’intégration internationale 1.1. La recherche est internationale Lorsqu'il s'agit de déterminer si une recherche contribue à repousser les limites du savoir, le seul point de comparaison pertinent est la meilleure recherche qui se fait au niveau mondial. Et ce sont également les meilleurs chercheurs internationaux qui sont en principe le mieux armés pour déterminer la valeur d’une contribution. Toute recherche doit donc être maximalement insérée dans la communauté internationale [Application: en France, les décisions d'embauche au CNRS et de qualification ou de promotion au CNU sont déterminées par des commissions presque exclusivement composées de chercheurs travaillant en France, sans qu’il soit fait appel à l’évaluation d’experts étrangers; c'est un inconvénient au regard de l'obligation d'universalisme de la recherche.] 1.2. La communication de la recherche doit l’être également Il faut rendre la diffusion et l'évaluation internationales aussi aisées que possible – y compris par le choix de la langue dans laquelle les recherches sont publiées. Dans nombre de disciplines, l'anglais est, de facto, la langue de travail internationale; les chercheurs qui publient dans cette langue ne doivent en aucune façon être pénalisés – pas plus d’ailleurs que s’ils utilisent toute autre langue qui conduit à une diffusion optimale de leur recherche. [Application: la Section 7 du CNU (Sciences du langage) a couramment refusé la qualification à des universitaires étrangers parce qu'ils n'avaient pas de publications en français. Ces décisions ont contribué à rendre plus difficile l'accès de collègues extrêmement qualifiés à l’Université française (comme le CNU ne peut auditionner les candidats, la capacité de ceux-ci à enseigner en français doit bien entendu être évaluée par les universités qui songent à les recruter; elle ne peut pas l’être par le CNU).] 1.3. Il ne saurait y avoir nulle ‘préférence nationale’ L'universalisme de la recherche implique que tout doit être fait pour faciliter l'intégration des chercheurs étrangers dans notre pays. En particulier, on doit ouvrir au maximum les postes disponibles en France aux chercheurs étrangers, car on augmentera ainsi la qualité de la recherche nationale; il n'y a dans ce domaine aucune place pour des règles, explicites ou implicites, de 'préférence nationale'. [Application: les postes disponibles en France devraient être systématiquement publiés sur des forums internationaux, ce qui souvent n'est pas le cas. De même, le calendrier des candidatures devrait, autant que possible, correspondre aux pratiques courantes à l'étranger. Tel n'est pas le cas actuellement: c'est en décembre que les doctorants doivent avoir soutenu leur thèse s'ils veulent postuler à un poste en septembre de l'année suivante (en raison des dates limites imposées par les candidatures au CNRS et par le dépôt des dossiers de qualification au CNU); à l'étranger (par exemple aux USA), la candidature peut se faire avant soutenance – ce qui conduit à un décalage de 6-8 mois par rapport au calendrier français.] 1.4. La recherche française doit avoir les moyens d’être compétitive La recherche française doit en outre avoir les moyens d'attirer les meilleurs chercheurs internationaux. Les emplois qui leur sont offerts devraient, en termes de salaires comme de carrières, être attractifs par rapport aux meilleures institutions étrangères. De même, il importe que l’on facilite autant que faire se peut les démarches administratives que doivent entreprendre les chercheurs étrangers travaillant en France. [Application: un professeur très reconnu aux Etats-Unis doit parfois diviser son salaire par deux, trois ou quatre s'il souhaite prendre un poste à l'Université ou au CNRS en France - tout particulièrement dans les disciplines ‘riches’, comme l’économie. La compétition est parfois émoussée par la différences des emplois (ainsi, un chercheur CNRS a une disponibilité pour la recherche qui est beaucoup plus grande que celle de ses collègues américains; cette différence permet parfois de faire accepter des différentiels de salaire importants). Néanmoins, le système français n'a pour l'instant que peu de flexibilité pour entrer en compétition avec les meilleures institutions étrangères. Par ailleurs, il arrive que des chercheurs étrangers soient contraints de faire un véritable parcours du combattant pour régulariser leur situation administrative – avec parfois des tracasseries qui sont proprement ubuesques, par exemple pour obtenir un titre de séjour ou une simple carte de sécurité sociale.] 2 L'évaluation L'évaluation scientifique est au coeur même de l'organisation de la recherche. Les meilleurs juges des avancées réalisées sont les chercheurs qui sont eux-mêmes aux avant-postes de la recherche mondiale. Les revues et les collections scientifiques de qualité sont organisées selon ce principe; il doit être appliqué également dans les institutions universitaires et de recherche. 2.1. Une triple structuration est à la source de la légitimité scientifique À l'heure où internet rend immédiate la diffusion du savoir, la publication scientifique a pour rôle quasi-exclusif de fournir un label de qualité, grâce à des procédures d'évaluation très strictes (et ce label est d’ailleurs d'autant plus puissant que les procédures sont plus sélectives). L'évaluation se fait alors selon une procédure à deux niveaux: –Les décisions de publication sont prises en dernier ressort par des 'éditeurs', qui sont des chercheurs jouissant d'une très bonne réputation internationale. –Comme ils n'ont ni le temps ni les compétences pour juger de tout, ils prennent la décision de publier une recherche à la lumière des rapports détaillés de spécialistes qu'ils ont choisis pour leur connaissance du sujet et pour leur compétence reconnue – et dont les noms ne sont pas connus des auteurs. Dans les bonnes revues scientifiques, les taux de rejet sont considérables, et les articles publiés ne le sont souvent qu'après plusieurs cycles de révisions. Les grandes institutions scientifiques étrangères (par exemple l'ERC et la NSF) ajoutent un troisième niveau à ces deux premiers, car elles ont besoin d’une instance légitime pour nommer les chercheurs qui prennent les décisions scientifiques. Dans ce que l'on pourrait appeler le 'modèle ERC', on trouve une structure triple (la NSF fonctionne sur des principes proches). 1. Conseil Scientifique Le Conseil Scientifique de l'organisme rassemble des chercheurs de premier plan, qui ont été choisis pour leur renom scientifique et pour leur expérience de la gouvernance de la recherche.[1] 2. Commissions nommées Le Conseil Scientifique nomme des commissions, dont le périmètre disciplinaire peut être plus ou moins large (en effet, quand il s’agit de prendre des décisions de financement, il faut pouvoir confronter des spécialistes de disciplines différentes; ce problème se pose peu dans la publication scientifique, où les revues couvrent généralement un champ disciplinaire homogène). Ces commissions sont composées de chercheurs reconnus, choisis pour leur seule compétence, et qui acceptent de donner une partie de leur temps à la gouvernance de la recherche. 3. Rapporteurs anonymes Pas plus que les éditeurs de revues scientifiques, les membres des commissions n'ont le temps ou la compétence pour juger de tout. Eux aussi doivent donc s'appuyer sur les recommandations de rapporteurs spécialisés (‘referees’), dont l'identité n'est pas connue des candidats. Ces rapporteurs sont choisis en raison de leur compétence scientifique et de leur proximité avec le travail spécifique qu'il s'agit d'évaluer (et un rapporteur peut ainsi n’avoir qu’un tout petit nombre de dossiers à évaluer – parfois un seul). [Application: En France, les commissions du CNRS et du CNU ne font pas appel à des rapporteurs externes, avec pour résultat que les membres des commissions doivent, avec un temps réduit, évaluer des dossiers dont ils ne sont pas spécialistes. Par ailleurs, les commissions ne sont pas nommées par les Conseils scientifiques; leurs membres sont pour partie nommés par le Ministère, et pour partie élus comme des représentants du personnel. Quant à l’ANR, elle fait appel à des rapporteurs, mais elle n’a a pas de Conseil Scientifique.] 2.2. Le principe de médiation: l’Etat peut intervenir dans les grandes orientations, et jamais dans les décisions de détail Dans des organismes publics, il est légitime que l'Etat ait un rôle dans la détermination des grandes orientations la politique scientifique. Pour autant, l'Etat ne doit aucunement influencer le travail d'évaluation mené par les experts – il n'a aucun titre à le faire. Ces deux principes peuvent être rendus compatibles par un principe de médiation: si l'Etat peut jouer un rôle partiel dans la sélection des Conseils Scientifiques (qui doivent d'abord et avant tout jouir d’une forte légitimité scientifique), il ne doit pas déterminer la composition des commissions, ni le choix des rapporteurs (‘referees’). [Application: au CNRS et au CNU, un tiers des membres des commissions est nommé directement par le Ministère. Cela contrevient au principe de médiation, et cela fait parfois peser un soupçon de collusion personnelle ou politique sur les décisions scientifiques qui sont prises.] 2.3. Le principe de distinction: il doit y avoir une complète séparation entre la défense des intérêts du personnel et les tâches d’expertise scientifique Comme dans toute institution, les personnels de la recherche ont un légitime droit à voir leurs intérêts défendus par des représentants syndicaux. Mais le rôle des experts scientifiques est entièrement distinct: ils ont pour fonction de défendre les intérêts de la science, et non ceux des personnels. On n'imaginerait guère qu'une revue scientifique choisisse les articles à publier sur la base d'un vote de tous les chercheurs – car on n'aurait ainsi nulle garantie que ce choix reflète le jugement des meilleurs experts. Il est tout aussi peu légitime de confier le travail d'expertise à des chercheurs qui ont été choisis sur des bases de représentation du personnel (élection, appartenance syndicale), et non de compétence scientifique. Cela n’implique nullement que les syndicats n’ont pas de rôle à jouer dans les institutions de recherche; mais il doit s’agir d’un rôle de défense des personnels, et en aucun cas d’expertise scientifique. [Application: au CNRS et au CNU, les deux tiers des membres des commissions sont élus par le personnel, parfois sur des listes syndicales. Cela introduit une confusion totale entre la défense des intérêts du personnel et l'expertise scientifique.] 2.4. Le principe de division du travail d’évaluation: les tâches d’évaluation doivent être judicieusement réparties Pour être pleinement légitime, l'évaluation de la recherche doit faire appel aux meilleurs spécialistes. Mais ces derniers ne peuvent ni ne doivent consacrer toute leur énergie à l’évaluation. Celle-ci doit donc être organisée de façon à diviser autant qu'il se peut ce travail fondamental. La triple organisation dont on a parlé plus haut (Conseils Scientifiques, Commissions, Rapporteurs) peut y contribuer: les membres des commissions ont une tâche moins lourde s'ils peuvent s'appuyer sur d'excellents rapporteurs; et d'excellents chercheurs peuvent accepter d'être ponctuellement rapporteurs, ou plus durablement membres de commissions, s’ils ont la garantie que cette tâche ne nuira pas à leur activité scientifique. [Application: tant au CNRS qu'au CNU, les membres des commissions ne peuvent généralement pas s'appuyer sur des rapporteurs externes; ils ont ainsi une tâche écrasante, qui peut décourager certains chercheurs actifs de participer à ce travail fondamental.] 2.5. La méta-évaluation: les procédures de décisions doivent être elles-mêmes évaluées. La qualité d'un travail de décision scientifique, et en particulier d’évaluation, doit être régulièrement vérifiée; en d'autres termes, des mécanismes doivent garantir que les procédures d’évaluation soient elles-mêmes évaluées, et qu’elles le soient en toute indépendance. [Application: les procédures du Comité National du CNRS et celles du CNU ne sont soumises à aucune évaluation régulière; il est essentiel qu’elles soient évaluées par l'AERES ou par d'autres comités externes.] 3 Le financement Le financement sur projets s’est considérablement développé dans la recherche française. Il peut contribuer à renforcer les directions de recherches les plus dynamiques, et à donner très tôt une grande indépendance à des chercheurs qui, sinon, pourraient être soumis à des logiques mandarinales. Mais ce processus recèle aussi des risques importants s’il n’est pas scientifiquement exemplaire, et s’il induit des coûts disproportionnés en temps et en organisation. 3.1. Les mécanismes de financement doivent être soumis à la triple structuration de l’évaluation scientifique Pour être légitime, le processus d’attribution des financements doit satisfaire aux principes généraux qui guident l’évaluation de la recherche – avec une distinction entre trois niveaux discutés ci-dessus (Conseils Scientifiques, Commissions, Rapporteurs (‘referees’)). [Application: En France, l’Agence Nationale de la Recherche a un Conseil d’Administration, mais nul Conseil Scientifique – ce qui nuit à la légitimité des décisions qu’elle peut prendre.] 3.2. L’excellence scientifique doit être le principal critère Les institutions scientifiques et les responsables politiques dont elles dépendent ont souvent la tentation de dicter à la recherche les voies qu’elle doit emprunter. L’orientation thématique peut, certes, être indispensable dans certains cas (il en est sans doute ainsi dans le domaine médical). Mais quand c’est possible, la part la plus large doit être faite aux projets non-thématiques (dits ‘projets blancs’), pour lesquels l’excellence est le seul critère de sélection. Le ‘modèle ERC’ a imposé avec un grand succès cette politique aussi simple qu’efficace (« excellence is the only criterion »). Elle est fort bien motivée, car on ne peut décréter où vont être faites les plus grandes découvertes, et il faut donc faire toute la place possible aux propositions qui viennent des chercheurs eux-mêmes. [Application: En France, la part des ‘projets blancs’ dans la programmations de l’ANR a souvent été jugée insuffisante par nombre de chercheurs.] 3.3. Les contraintes bureaucratiques doivent être minimisées Le financement sur projets ne doit en aucun cas donner lieu à un coût organisationnel disproportionné. Plusieurs moyens peuvent être mis en oeuvre pour éviter de telles dérives. –Les demandes de financement doivent être aussi courtes que l’autorise une évaluation scientifique rigoureuse. –La mise en place des projets doit minimiser les lourdeurs bureaucratiques, dans l’esprit de la déclaration ‘Trust Researchers’ actuellement en circulation au niveau européen. http://www.trust-researchers.eu/ –Les porteurs de projets doivent avoir une grande latitude dans l’évolution qu’ils souhaitent donner à leur programme. En effet, une recherche féconde est une recherche qui ouvre des voies nouvelles, peu prévisibles au moment du dépôt du projet. Il faut, dans ce cas comme dans d’autres, que les chercheurs puissent faire preuve de leur meilleur jugement pour explorer les voies les plus fécondes – y compris si elles sont inattendues. –Dans les organismes de financement, les responsables en dernière instance doivent être des chercheurs respectés, et non des administratifs. (Ce modèle a cours à la NSF, où les ‘program directors’ sont des scientifiques respectés.) –Les porteurs de projets devraient être systématiquement consultés sur l’efficacité des procédures auxquelles ils ont été confrontés, de façon à ce que toute dérive bureaucratique soit immédiatement mise en évidence. Premiers signataires (par ordre alphabétique) James Badro (Directeur de Recherche CNRS, Institut de Physique du Globe de Paris – Géophysique) Karol Beffa (Maître de Conférences, Ecole Normale Supérieure – Musicologie) David Bensimon (Directeur de Recherche CNRS, laboratoire de Physique Statistique, Ecole Normale Supérieure et Professeur, Dept. Chemistry and Biochemistry, UCLA – Biophysique) Sacha Bourgeois-Gironde (Professeur - Aix-Marseille Université, Aix-Marseille School of Economics – Philosophie & Economie) Julien Cantegreil Denis Bonnay (Maître de Conférences, Université Paris Ouest – Philosophie) Emmanuel Breuillard (Professeur, Université Paris-Sud Orsay – Mathématiques) Emmanuel Chemla (Chargé de recherche CNRS, Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique, Ecole Normale Supérieure – Psycholinguistique) Emmanuel Dupoux (Directeur d’Etudes Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales – Psychologie cognitive) Xavier Gabaix (Professeur, New York University – Economie) Nathalie Heinich (Directeur de recherche, CNRS, EHESS, Paris – Sociologie) Sid Kouider (Chargé de recherche CNRS, Département d’études cognitives, Ecole Normale Supérieure – Psychologie cognitive). Joëlle Proust (Directeur de Recherche, Institut Jean-Nicod, Ecole Normale Supérieure – Philosophie) Philippe Schlenker (Directeur de Recherche, Institut Jean-Nicod, CNRS; Global Distinguished Professor, New York University – Linguistique) Benjamin Spector (Chargé de Recherche CNRS, Institut Jean-Nicod, Ecole Normale Supérieure – Linguistique) Dominique Sportiche (Professeur, UCLA, Ecole normale supérieure, Institut Jean-Nicod – Linguistique) NOTES [1] Comment garantir que les membres de ce Conseil soient choisis pour leurs compétences? Les modalités de sélection importent, et doivent être déterminées avec soin. Plusieurs systèmes sont envisageables pour conférer aux Conseil Scientifiques une double légitimité, provenant tant de l’Etat (lorsqu’il s’agit d’institutions publiques) que de la communauté scientifique: (i) les nominations peuvent être faites sur proposition de sociétés scientifiques françaises et étrangères; (ii) les nominations peuvent être effectuées de façon indirecte, par le biais d’un comité de nomination (c’est le système qui a cours à l’ERC); (iii) les nominations peuvent se faire de façon progressive, pour éviter que des changements politiques subits aient des conséquences scientifiques directes (deux mécanisme peuvent par exemple être envisagés: renouvellement progressif du Conseil, avec ‘lissage’ temporel; renouvellement d’une partie du Conseil par nomination provenant du Conseil lui-même). (iv) les nominations peuvent se faire par des instances politiques multiples, de façon à ce qu’aucune n’ait à elle seule un rôle décisif. (v) les nominations peuvent avoir à être confirmées, par exemple par le pouvoir législatif (c’est la règle à la NSF américaine, dont le directeur et le Conseil sont nommés par le Président mais confirmés par le Sénat). Dans tous les cas, les mécanismes de nomination doivent garantir au maximum la médiation entre la sphère politique et la sphère scientifique, et le respect de l’autonomie de cette dernière.

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